Rénovation énergétique des petites copropriétés en bati ancien : freins et expérimentation

Tuesday 26 December 2023

Contexte

 

Les centres-villes historiques ou reconstruits de villes moyennes et petites concentrent de nombreuses petites copropriétés dotées de caractéristiques patrimoniales. Par patrimonial on entend, construction à partir de matériaux locaux et de techniques traditionnelles. Leur édification est antérieure, voire bien antérieure à l’industrialisation de la construction (avant 1948). Elles sont de taille plutôt modestes ne comportant que quelques lots avoisinant parfois la dizaine.

 

Beaucoup de ces bâtiments qui constituent un patrimoine architectural sont des bâtiments anciens qui ne sont pas protégés par des dispositifs spécifiques (CREBA 2022).

 

Elles résultent de mono-propriétés vendues à la découpe ou de copropriétés issues de la division de larges bâtis (ferme, grange..). Elles ne sont pas toujours enregistrées au RNIC (Brisepierre 2022), et sont sur-représentées dans cette catégorie comme le confirme le projet du CEREMA COPRO FF (CEREMA 2023)[i].

 

Dans les petites copropriétés en centre ancien le chauffage individuel domine, sa part est de 90 % contre 66 % en moyenne (ANAH 2023 ; Brisepierre 2022). En effet, la segmentation du bâti en lots d’habitation s’accompagne fréquemment, le cas échéant, de la dépose du réseau hydraulique et de son remplacement par du chauffage électrique. Le bâti peut être aussi dépourvu de tout système et lorsque les chaudières collectives existent elles fonctionnent pour l’essentiel au fioul.

 

Le chauffage n’étant pas sujet d’assemblée générale l’engagement collectif que requiert la rénovation du bâti émerge plus difficilement (Brisepierre 2022).

 

Caractéristiques du bati ancien

 

Le bati patrimonial a comme caractéristique majeur un mode constructif traditionnel local. La structure est constituée de matériaux géosourcés ou biosourcés en pierres locales ou briques pleines jointées avec un mortier de chaux et de sable, en terre cru dans certaines régions. Les planchers peuvent être en bois sur solives (éventuellement métalliques dès le début du XXe) et lambourdes ou en tomettes ou pierres locales. La charpente est traditionnelle et les matériaux de couverture typent la région et l’époque : tuiles plates, tuiles canal, ardoise, zinc, chaume, tavaillon...

 

Particularités thermiques et comportementales du bâti ancien

 

Les bâtiments anciens ont un comportement physique différents des bâtiments modernes. Les parois ont en général une bonne inertie thermique du fait de leur masse et des matériaux constitufs. Elles sont composées pour partie de matériaux perméables à la vapeur d’eau ou hygroscopiques qui tamponnent et régulent le taux d’humidité : bois, chaux, terre et terre cuite, plâtre. Ces caractéristiques nécessitent des dispositifs et des matériaux compatibles afin de préserver les qualités d’origine du bâti et éviter des risques de pathologies (CREBA 2022).

 

La morphologie du bâti ancien reposait sur des principes bioclimatiques que sont, par exemple, des petites ouvertures au nord, des débords de toit, des espaces tampons, des logements traversant, des combles perdus, une localisation des pièces selon leur usage...

 

On pourra se référer à l’article de Grand Paris Seine Ouest Energie sur Coach Copro d'octobre 2023 sur le Bâti Patrimonial qui recèle beaucoup d’éléments intéressants.

 

En Essonne

 

Matériaux

 

En Essonne on dénombre quatre principaux types de matériaux de construction pour les parois : le silex, le grès, le calcaire et la meulière (Gautier et al. 2013).

 

Le silex des plateaux de Brie ou de Beauce a été largement employé dans tout l’Essonne. Le calcaire, dont les principales carrières se trouvent vers Etampes, a été couramment utilisé dans le sud du département. Les façades en pierre meulière se retrouve dans le nord-ouest et l’est du département. Ce matériau poreux, offrant de bonnes qualités d’isolation, a surtout été utilisé en banlieue parisienne entre les années 1880 et 1930. Quant au grès, on le trouve en Hurepoix et sur les franges du Gâtinais, et sur les chaînages d’angle (Gautier et al. 2013).

 

 


Silex

Calcaire

Meulière

Grès

Figure 1 – Les matériaux de construction du bâti ancien de l’Essonne

 

Caractéristiques constructives

 

Dans l’Essonne, la maison individuelle domine. Outre les grands ensembles du nord du département et des centres denses, l’habitat collectif se trouve dans les centres des plus anciennes villes que sont : Palaiseau, Orsay, Gif-sur-Yvette, Juvisy-sur-Orge, Montlhéry, Linas, Arpajon, Etampes, Dourdan, Corbeil-Essonnes (Gautier et al. 2013).

 

Les murs extérieurs sont en moellons ou briques pleines, crépis ou à pierre vue, enduit de plâtre à l’intérieur. Au grè de l'évolution de l'habitat, les parois intérieures peuvent être en plaque de plâtre montées sur rail, doublées ou non d’isolant sur un vide technique. Le cloisonnage peut avoir été modifié (Marchand et Choureau 2011).

 

Les menuiseries si elles ont été conservées sont en simple vitrage sur châssis et dormant en bois (souvent en chêne) à double vantaux, à battement mouton et gueule de loup. En cas de remplacement on trouve majoritairement du double vitrage en PVC en dépose total ou en rénovation (Bouteiller 2021).

 

Les fermetures d’origine sont constituées de volets en bois ou en métal en accordéon, parfois remplacées ou doublées par des volets roulants.

 

Le chauffage individuel électrique domine comme l’eau chaude sanitaire par cumulus. Le chauffage individuel gaz et le chauffage collectif au fioul ou gaz se rencontre moins fréquemment.

 

Les combles sont à l’origine perdus et couvre l’emprise du bâtiment. Leur aménagement permet de créer des lots d’habitation et donne parfois lieu à une isolation de la toiture insuffisante au regard des standards actuels (parfois ancienne, dégradée et sans pare-pluie).

 

La construction peut-être sur terre plein ou sur caves en sous-sol intégral.

 

Etampes est une commune labellisée Ville d’art et d’histoire depuis janvier 2006 et compte 26 monuments classés. Dourdan en comporte 7. Le sud de l'Essonne est riche en monuments classés et bâti ancien.

 Figure 2 - Copropriétés d'Etampes

 

La rénovation énergétique des petites copropriétés : un défi de taille

 

La rénovation thermique des petites copropriétés peut s'avérer difficile.

 

Système de chauffage – Le chauffage est, dans une rénovation, un levier majeur d’économie. Or l’intervention sur le chauffage souvent individuel est rendue complexe sauf à recourir à des systèmes aérauliques que sont le chauffage au bois ou la pompe à chaleur air/air. L’installation d’un réseau hydraulique peut être une option à considérer mais son coût et le degré d’intervention sont importants et donc dissuasifs. Les PAC air/air individuelles requièrent l’installation en façade de modules qui demande la prise en compte de contraintes esthétiques et acoustiques et l’accord de la copropriété.

 

Préservation du bâti, contraintes et freins – L’accord des architectes des bâtiments de France (ABF), le respect des règles d’urbanisme (PLU), l’atteinte du seuil de 35 % d’économie d’énergie primaire, le respect des prescriptions de résistance thermique, l’existence et la disponibilité d’artisans qualifiés font partie des principaux freins identifiés (cf. CC GPSO).


La perspirance (capacité à laisser passer la vapeur d’eau) du bâti doit être intégrée dans le projet et préservée.
L’esthétique, les règles d’alignement, l’unité architecturale et les autres contraintes rendent l’isolation par l’extérieur (ITE), respectant les valeurs minimum de résistance thermique, quasi-impossible (et non souhaitable). 

Les recours possibles sont des enduits chargés épais à base de chaux de quelques centimètres pour maintenir une continuité capillaire tout en apportant une correction thermique. Les artisans en mesure de l'appliquer sont rares.
Par ailleurs le non respect des valeurs de résistance thermique minimum empêche la sollicitation des certificats d’économie d’énergie. (cf. catalogue CEE).


Les gains forcement plus modestes compliquent l’atteinte des 35 % d’énergie ouvrant droit aux aides nationales et souvent locales.

 

Rénovation partielle antérieure limitant le gisement d’économie - Des travaux d’amélioration antérieurs peuvent avoir amputé le potentiel de gisement d’économies ou l'avoir rendu plus complexe, plus interventionniste et plus couteux : dépose du réseau hydraulique en premier lieu, menuiseries étanches sans ventilation et parfois sans entrée d’air, doublage intérieur des parois en plaque de plâtre & polystyrène, dépose du réseau hydraulique, investissement des combles limitant les possibilités d’isolation et d’intervention, isolation des combles avec des matériaux étanches et non perspirants (mousse de polystyrène ou de polyurethane / multicouche non HPV (haute perméabilité à la vapeur d’eau), recouvrement ou suppression des parements hygroscopiques tamponnant l’humidité (plâtre / chaux).

 

Une charge financière plus élevée par lot. La petite taille des copropriétés réduit l’économie d’échelle, avec des postes difficilement compressibles : AMO (assistance à maîtrise d’ouvrage), MOE (maîtrise d’oeuvre), diagnostics. Les travaux nécessitent l’intervention d’artisans spécialisés, le recours à des matériaux plus chers, les aides sont moindres car le seuil n’est pas atteint. Tous ces facteurs renchérissent le projet.

 

Le DPE défavorable au bâti ancien

 

Jusqu’en juillet 2021, il était possible d’établir un diagnostic de performance énergétique (DPE) sur la base de factures. Depuis cette date seule la méthode 3CL2021 doit être utilisée car le DPE vise à établir une consommation standardisée qui ne prend pas en compte les particularités d’usage.

 

Devant les critiques et alertes émises par les acteurs du bâti ancien, double seuil (énergie et GES Gaz à Effet de Serre), pénalisant les petites surfaces et le bâti ancien (cf figures ci-dessous), cette méthode a fait l’objet de correctifs.

 

En effet les spécificités - inertie, bonne gestion de l’humidité, étanchéité à l’air, utilisation de matériaux amortis depuis longtemps et donc à faible énergie grise - sont peu prises en compte faute de la standardisation de l’outil.

 

Le référentiel a été amélioré en offrant la possibilité aux diagnostiqueurs de mieux renseigner les valeurs caractérisant le bâti ancien. Mais ces correctifs ne couvrent pas tous les aspects et ces options restent peu utilisées par méconnaissance de la latitude ouverte voire de la méconnaissance des données correspondantes des diagnostiqueurs. Les DPE en considérant les valeurs par défaut pénalisent le bâti ancien aboutissant à une étiquette défavorable (Pierre d’Angle 2023)

 

Les acteurs impliqués ont réclamé en 2023 que le bâti ancien fasse l’objet d’un DPE spécifique et énumèrent 16 propositions (Sites et Cités remarquables 2023, G7 Patrimoine 2023). Ils redoutent pour le bâti ancien avec l’accent mis sur l’éradication des passoires thermiques (F ou G) et la politique de rénovation énergétique indifférenciée :

 

  • ·        sa dégradation avec la mise en œuvre de techniques non adaptées
  • ·        sa disparition ou son altération architecturale avec le remplacement des ornementations par des équipements standardisés,
  • ·        une amputation d’une partie du parc locatif comme conséquence des mauvaises étiquettes énergie ou une rénovation anarchique mal menée.

 

Ce plaidoyer n’a pas été retranscrit mais l'ANAH, agence national pour l’amélioration de l’habitat lance en 2024 une expérimentation ciselée pour les petites copropriétés à bâti ancien.

 

Figure 3 - Répartition des étiquettes DPE des résidences principales suivant l’année de construction du logement en % (Le Saout 2022)

 

 

Figure 4 - Etiquette DPE individuel distribué selon la surface du logement. On observe davantage de passoires énergétiques pour les petites surfaces (adapté de Pierre d’angles 2023)

 

 

Figure 5 - Etiquette DPE individuel distribué selon l’année de construction du logement. On observe davantage de passoires énergétiques avant 1948  (adapté de Pierre d’angles 2023)

 

En 2024, lancement d’une expérimentation sur les petites copropriétés

 

On l’a dit, les petites copropriétés se heurtent à des difficultés mutiples dans leurs travaux de rénovation en dépit d’une incitation forte par le biais de l’étiquette DPE : coûts – leviers – artisans et professionnels qualifiés – MOE – diagnostics pénalisants – difficulté d’accès aux aides financières.

 

L’ANAH a décidé de mener une expérimentation en 2024 pour ouvrir les aides aux petites copropriétés de moins de 20 lots réalisant toutefois au moins 15% d’économie d’énergie avec un taux abaissé de résidences principales de 65% contre 75% ordinairement.

 

Cette expérimentation d’une durée de 3 ans (2024-2026) n’est pour le moment limitée qu’aux copropriétés situées dans le périmètre d'OPAH-RU, d'OPAH-CD ou d’un POPAC.


Face aux difficultés inventoriées sur la rénovation des petites copropriétés en centre ancien, il serait souhaitable et heureux que le dispositif soit étendu rapidement.

 

 

Références

 

ANAH Délibération n° 2023-49 du 6 décembre 2023 Régime d’aides expérimental en faveur de la rénovation énergétique des copropriétés de vingt lots d’habitation ou moins 

Bouteiller D. (2021) Préserver la fenêtre dans le bâti ancien 

Brisepierre G. (2022) Points de repère sur les petites copropriétés et la rénovation énergétique. Webinaire du CeDRE du 21 sept 2022 visionnable ici

CEREMA (28 nov 2023) Coproff nouveau référentiel national des copropriétés construit par construit par l’Anah et le Cerema

CREBA (2022) Charte de la réhabilitation responsable du bâti ancien 34 p. mars.

G7 Patrimoine (2023) Performance énergétique du bâti ancien - 16 préconisations pour conjuguer transition écologique et respect du bâti ancien

Gautier C., Wickersheim A. et Specht H. (2013) Guide des paysages urbains et naturels de l’Essonne – tome 1 Diagnostic

GPSO (2023) Rénovation énergétique et bâti patrimonial, c’est compatible ! Accessible à

Le Saout R., Mesqui B. et Rathle J.-P. (2022) Le parc de logements par classe de performance énergétique au 1er janvier 2022. Observatoire national de la rénovation énergétique

Marchand M. et Choureau S. (2011) Diagnostic Patrimonial centre Essonne cantons de Dourdan et de Saint-Chéron. Conseil régional d’Île-de-France

Pierre d’Angles  (2023)  La rénovation énergétique du bâti ancien - au-delà du DPE : plaidoyer pour l’audit global 2/2 Août  ANABF

SENAT 1er février 2023 Transition écologique du bâti ancien Comptes rendus de la commision de la culture, de l’éducation et de la communication 

Sites et cités remarquables de France et CDI Fnaim 19 juin 2023 Courrier pour les ministres



[i] Selon l’outil en cours de développement par le CEREMA (CoproFF) établi à partir du croisement de différentes sources 527.103 copropriétés sont immatriculées pour un parc qui en compte 891.103 soit un taux d’immatriculation de 60%. La taille moyenne des non immatriculée de 8 contre 16 pour les immatriculées confirme la surreprésentation de petites copropriétés non immatriculées (CEREMA 2023).